27/01/2022 - Hommage à Philippe Contamine par Olivier Matteoni Avec la disparition de Philippe Contamine, la communauté des médiévistes perd l’une de ses figures marquantes. Sa longue carrière, sa très riche production scientifique dans le champ de l’histoire politique et des pouvoirs de la fin du Moyen Âge, sa renommée internationale, les responsabilités administratives qu’il a exercées tout au long de sa vie professionnelle et académique, disent à elles seules l’intense activité qui a été la sienne dans l’université française et que récompensèrent de nombreuses distinctions, notamment son élection à l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres en 1990, et son avancement dans les ordres nationaux – il venait d’être promu au grade de commandeur dans la promotion de la Légion d’honneur du 1er janvier 2022.
Philippe Contamine est né à Metz le 7 mai 1932, où enseignait son père, l’historien Henri Contamine, spécialiste du XIXe siècle et de l’histoire militaire, et auteur d’une thèse sur Metz et la Moselle de 1814 à 1870. Étude de la vie et de l’administration d’un département au XIXe siècle . Il fit ses études secondaires à Caen, où son père avait été nommé comme professeur d’histoire contemporaine à la Faculté des Lettres de l’Université de la ville en 1935, avant de rejoindre le lycée Hoche à Versailles pour sa terminale, puis le lycée Louis le Grand à Paris en classes préparatoires. Il opta alors pour des études d’histoire et réussit le concours de l’agrégation en 1956. Il fut ensuite professeur au lycée de Sens (1957), puis au lycée Carnot à Paris (1960), en même temps qu’il s’engageait dans un travail de thèse en histoire médiévale, ce qui lui permit d’intégrer le CNRS comme attaché de recherche en 1961. Il devient assistant à la Sorbonne en 1962, puis chargé d’enseignement d’histoire du Moyen Âge à la Faculté des lettres et des sciences humaines de Nancy en 1965. Sa thèse, soutenue en 1969, lui permit de devenir maître de conférences, et en 1970 professeur d’histoire du Moyen Âge à l’Université de Nancy II. En 1973, il est élu professeur d’histoire du Moyen Âge à l’Université Paris X-Nanterre, poste qu’il occupe jusqu’en 1989, date à laquelle il rejoint l’Université Paris IV-Sorbonne où il demeure jusqu’en 2000.
La thèse de doctorat d’État de Philippe Contamine, publiée en 1972, portait sur les armées du roi de France et la guerre aux deux derniers siècles du Moyen Âge. Son titre, Guerre, État et société à la fin du Moyen Âge. Études sur les armées des rois de France, 1337-1494 , montre que son enjeu dépassait la seule analyse des structures et de l’évolution de l’ost royal. En s’intéressant aux hommes, aux combattants et à la condition militaire, Philippe Contamine plaçait l’armée au cœur de la société des deux derniers siècles du Moyen Âge. Posant la question du service militaire rendu au roi, il en faisait un élément dynamique de la construction de l’État. Par ce livre essentiel, son auteur s’affirmait comme le grand spécialiste de la guerre et des armées, et ce thème restera au cœur de sa production scientifique tout au long de sa vie, comme en attestent quelques grands titres : La Guerre de Cent Ans , dans la collection « Que sais-je ? » en 1968, traduit en plusieurs langues, dont le japonais, La vie quotidienne en France et en Angleterre pendant la guerre de Cent Ans en 1976, surtout La guerre au Moyen Âge , dans la collection « Nouvelle Clio » des PUF en 1980. L’écho de ce dernier opus a été très grand, tant par la somme des connaissances rassemblées que par l’ouverture aux apports de l’archéologie, ou encore par certains questionnements, particulièrement novateurs à l’époque. Ainsi, dans le chapitre IX intitulé « Pour une histoire du courage », Philippe Contamine s’interroge pour savoir « si la notion de courage peut constituer à elle seule un objet d’étude ». À un moment où l’histoire des émotions n’en était qu’à ses balbutiements en histoire médiévale, un tel questionnement dit bien la curiosité intellectuelle du savant, qui appelait de ses vœux une enquête longue et approfondie de la question. Sa contribution à l’Histoire militaire de la France , parue aux PUF en 1992 sous la direction d’André Corvisier, lui fit reprendre et synthétiser un savoir considérable sur les armées royales, en même temps qu’il rassemblait dans un fort volume ses écrits les plus notables sur le sujet (Pages d’histoire militaire médiévale, XIVe-XVe siècles , 2005).
Ses recherches sur les armées et la guerre lui ont permis de montrer le poids de la noblesse au sein de l’ost royal et ensuite, au sein de l’armée royale réformée de Charles VII. C’est donc presque naturellement que la noblesse est devenue le deuxième grand thème de recherche de Philippe Contamine, et nombreux sont les articles et livres qu’il a consacrés à cette thématique. Il en livre une synthèse en 1997 dans La noblesse au royaume de France, de Philippe Le Bel à Louis XII , montrant que la classe nobiliaire, certes variée mais profondément renouvelée au cours des XIVe et XVe siècles, ne peut se comprendre que sous l’angle de ses rapports avec le pouvoir royal. Récemment, la nouvelle parution, sous forme de recueil, de certains de ses principaux articles et contributions sur ce thème (Nobles et noblesse en France, 1300-1500 , 2021) permet de juger combien son apport à la réflexion a été fécond dans des domaines aussi différents que l’alphabétisme des nobles, la culture nobiliaire, ou la crise de la seigneurie et les réponses pour y faire face.
De la noblesse à l’histoire du pouvoir et de l’État royal, le chemin était tout tracé, ouvrant sur la troisième grande thématique des travaux de Philippe Contamine : l’histoire des pouvoirs. Au cœur de ses écrits se trouvent une étude des fondements et de la justification de la prétention royale à la souveraineté à la fin du Moyen Âge, mais aussi une analyse des pratiques et des mécanismes de la communication politique pour comprendre comment le roi informait et s’informait. En d’autres termes, son horizon a été de mieux appréhender ce qu’était le gouvernement royal aux derniers siècles du Moyen Âge. De nombreux articles écrits sur cette thématique ont eu une forte résonnance – ainsi l’étude sur les archives de la Chambre des comptes de Paris, premier dépôt du royaume au XVe siècle, et où la « mémoire de l’État » était gardée et entretenue, ou la réflexion sur le vocabulaire de la réforme/réformation, qui montre combien le concept a été au cœur de la dynamique du gouvernement royal mais aussi de ses institutions, ou encore son analyse des procès politiques et de leur usage par le pouvoir royal pour asseoir son autorité. Les plus importants de ces écrits ont été rassemblés dans un recueil cohérent, intitulé Des pouvoirs en France, 1300-1500 et paru en 1992. Surtout la réflexion a été continuée et enrichie dans la contribution qu’il donna au volume de l’Histoire de la France politique dédiée au Moyen Âge (Le roi, l’Église, les grands, le peuple, 481-1514 ), sorti aux Éditions du Seuil en 2002 et qu’il dirigea. Prenant en charge la période qui court du règne de Philippe le Bel à Louis XII, il rend compte des nouvelles lectures et approches autour de questions aussi essentielles que les rapports entre communautés politiques, pays et nations, ou les principes de bien commun et leur application dans une pratique de bon gouvernement royal.
Dans les recherches de Philippe Contamine, toujours très attentif aux destinées souvent complexes des hommes, émergent deux figures historiques notables auxquelles il a consacré une part importante de son temps : Jeanne d’Arc et Charles VII. De la première, il est sans doute le plus grand spécialiste français, tant de son histoire que de son destin posthume et de l’usage politique de son image aux XIXe et XXe siècles. Cela lui valut d’ailleurs d’être sollicité pour diriger le Centre Jeanne d’Arc d’Orléans, une fonction qu’il assura de 1985 à 1989. Auteur de très nombreux articles sur le personnage, qui ont été très heureusement rassemblés dans deux volumes (De Jeanne d’Arc aux guerres d’Italie. Figures, images et problèmes du XVe siècle , 1994, et Jeanne d’Arc et son époque. Essais sur le XVe siècle français , 2020), Philippe Contamine a toujours eu à cœur de resituer l’itinéraire de Jeanne d’Arc dans son temps, « entre les chaos et les fracas de la guerre de Cent Ans », insistant sur l’idée que, en raison des multiples facettes de son histoire, c’est en fait quasiment tous les aspects d’une époque, la première moitié du XVe siècle, que l’on pouvait évoquer par son biais. Avec Olivier Bouzy et Xavier Hélary, il livre en 2012 une véritable somme sur le personnage, son temps et son image, Jeanne d’Arc. Histoire et dictionnaire , somme qu’il faut savoir lire aujourd’hui comme un antidote à toutes les mystifications et instrumentalisations. Charles VII, l’autre grand compagnon de Philippe Contamine, traverse toute son œuvre. Très présent dans ses travaux depuis ses premières recherches sur les armées royales, il lui consacre une monumentale biographie en 2017, sorte d’apothéose pour un roi longtemps négligé par l’historiographie et dont le livre doit être compris comme une réhabilitation, mais sans les excès de ce genre d’écrits. Ce roi qui ne fut « ni un saint, ni un chevalier, ni un mécène, ni un bâtisseur, ni un croisé », pour reprendre les mots de la conclusion, finit néanmoins en « roi de victoire, en roi fondateur, en roi de clémence et de paix ». L’enjeu du livre est de montrer cette réalisation, dont rien n’était écrit dans les années 1420. Intitulé Charles VII. Une vie, une politique , le livre développe un propos profondément politique.
Philippe Contamine, qui ne se réclamait d’aucune école même s’il reconnaissait avoir été influencé par Marc Bloch et l’enseignement des Annales, était un esprit libre, mais cela ne l’empêcha pas de soutenir des travaux collectifs et d’y prendre part. Il a organisé de nombreux colloques et rencontres scientifiques dont il codirigea les actes, et il accepta aussi de s’engager dans la grande enquête sur la genèse de l’État moderne coordonnée par Jean-Philippe Genet et Wim Blockmans, en dirigeant deux volumes : L’État et les aristocraties (France, Angleterre, Écosse), XIIe -XVIIe siècle (1989), et Guerre et concurrence entre les États européens du XIVe au XVIIe siècle (1998). Il sut donner sa chance à de jeunes chercheurs, à l’endroit desquels il faisait toujours preuve de bienveillance. Son séminaire « Les pouvoirs, XIIIe-XVe siècle », coanimé avec Françoise Autrand à l’École normale supérieure dans les années 1980 et 1990, a été un lieu important de rencontre et de discussion scientifique. Son magistère a été grand auprès des étudiants : il dirigea une trentaine de thèses.
Reconnu en France et à l’étranger, notamment au Royaume-Uni, où ses travaux comparatifs entre la France et l’Angleterre étaient appréciés, et en Allemagne – il était Docteur honoris causa de l’Université de Potsdam –, il a été membre de plusieurs sociétés savantes et académiques, y assurant chaque fois des responsabilités : Comité des Travaux historiques et scientifiques, Société de l’Histoire de France, Société nationale des Antiquaires de France, Royal Historical Society . Il a également siégé dans plusieurs comités scientifiques (Istituto internazionale di Storia economica Francesco Datini de Prato, École nationale des chartes, Comité pour l’Histoire économique et financière de la France, Centre d’Études d’Histoire de la Défense) et au sein de plusieurs conseils d’administration (Société française d’Archéologie, Musée de l’Armée). Il siégea également au CNU et au comité du CNRS. Par son appartenance à l’Institut, il dirigea de 2002 à 2010 la Fondation Thiers, et il fut codirecteur durant plusieurs années du Journal des Savants .
Philippe Contamine rappelait souvent combien son épouse, Geneviève, qui connaissait si bien les manuscrits médiévaux par son appartenance à l’Institut de recherche et d’histoire des textes, avait été pour lui un soutien indéfectible. Tous les deux s’associèrent pour publier en 1999 les actes du colloque de Thouars qui s’était tenu deux ans plus tôt, Autour de Marguerite d’Écosse : reines, princesses et dames du XVe siècle .
Se qualifiant lui-même d’« historien éclectique, irénique, méthodique et critique », Philippe Contamine laisse une œuvre considérable , marquante à plus d’un titre, écrite par un homme dont ceux qui l’ont connu et fréquenté garderont le souvenir d’un être savant et rigoureux, bienveillant et conciliant.
Olivier MATTEONI
Président de la Section Histoire et philologie des civilisations médiévales du CTHS
28/02/2019 - Les écritures contemporaines de l'histoire : journée d'étude La section
Histoire du monde moderne, de la Révolution française et des révolutions organise une journée d'étude consacrée aux
écritures contemporaines de l'histoire.
Ce texte est fondé sur une position ouverte, interrogative et non connotée quant à l'écriture de l'histoire aujourd’hui. Dans la mesure où celle-ci n'a jamais été un monopole des milieux professionnels académiques, mais a toujours fait intervenir des rapports subtils entre discours littéraire, artistique, politique et discours scientifique, cet appel à projet pose la question de la nature de la coexistence, de l’émulation voire de la concurrence des acteurs, des genres et des « œuvres » à partir de leurs conditions sociales, organisationnelles, économiques et politiques de production et de diffusion. L’appel à projet n’interdit pas une vision rétrospective sur des écritures plus anciennes de l’histoire, des moments de la vie intellectuelle où écriture professionnelle de l’histoire, écriture politique ou littéraire n’étaient pas distinguées. Des points de comparaison entre la situation française et celle d’autres pays sont aussi possibles. L’appel à projet offre de traiter des phénomènes existants ou à venir, souvent paradoxaux : atomisation des discours ou au contraire redondance de certains thèmes et formes d’écriture, diversités dans l’écriture, écritures minoritaires ou conformisme.
La toile de fond est fournie par notre société mondialisée, hyper connectée et tentée dans le même temps par des replis identitaires. Il s’agit de comprendre en amont s’il existe une évolution de l’écriture de l’histoire chez ceux qui la produisent, une influence des écritures contemporaines cinématographiques, ludiques, voire théâtrales sur l’écriture savante de l’histoire, sa diffusion, y compris dans son enseignement. Comment s’appréhende aujourd’hui la notion de vulgarisation ? Pourquoi et comment, en aval, les publics là où ils sont, et avec leurs filtres, ont le goût ou pas de l’histoire - et de quelle histoire ?
Quelques thèmes peuvent être suggérés :
Les acteurs et leurs rôles
La formation en histoire est présente dans un grand nombre de cursus et, à l'arrivée dans la vie professionnelle, les écritures de l’histoire relèvent d’acteurs différents : journalistes, auteurs de BD, sociologues interviennent depuis longtemps dans le domaine du contemporain. Scénaristes, animateurs TV ou radio sont venus les rejoindre, en élargissant la chronologie traitée à des périodes telles que l’Antiquité ou le Moyen Âge.
Les influences réciproques sur la manière d’écrire et de narrer
En quoi l’expérience, même restreinte, de diffusion des connaissances dans les médias peut se traduire concrètement dans le choix d’un sujet d’écriture, d’un angle éditorial ? Quelle est la stratégie de diffusion de l’œuvre et ce que l’auteur souhaite communiquer au public à travers elle ? En bref, quelle est l’influence de la formation initiale et des choix professionnels sur celui qui écrit sur le discours historique ?
La concurrence des genres.
La montée en puissance de la biographie est ancienne (publication en 1973 de la traduction de l'ouvrage de Murray Kendal sur Louis XI). D’autres formes d’écritures se sont développées, qui interrogent la notion de « proximité » avec le ou les personnages, proximité qui rendrait possible la proximité avec le lecteur contemporain : écriture de jeux de rôles, de BD, de « fantaisies » ; écriture des séries dont certaines valorisent un imaginaire historique national ; écriture et mise en scène de spectacles vivants (la notion de permanence des situations et passions alors que la scène est située géographiquement et chronologiquement) ; écriture d’autofictions : écrire une œuvre littéraire sur des faits réels mais transformés ; inclure dans l’œuvre littéraire fictionnelle ainsi conçue une autre part de la réalité, l’histoire individuelle de l’auteur, pour signifier la transformation induite par l’acte d’écrire sur la personne de l’auteur ; construction de visites virtuelles ludiques sur tablettes, à partir d’éléments réels et applications informatiques patrimoniales utilisant l’histoire et utilisant les algorithmes de recherche pour proposer des visites à thèmes personnalisées en fonction des goûts des publics. Se pose la question de l’emploi de techniques de représentations considérées comme des formes de « réalité augmentée ». Pour un créateur, la « fiction » comporte sa vérité.
Les enjeux des écritures contemporaines
L’enseignement de l’histoire, l’enrichissement des points de vue, une variété des discours, une pédagogie de l’histoire, ou un risque de clonage et de formatage des discours, l’émotion véhiculée par l’expérience (tourisme patrimonial) versus le raisonnement et la mise à distance, les parts du global et du local, les commémorations ponctuelles ou ritualisées : ces enjeux permettent de qualifier aujourd’hui le statut d’une « œuvre », individuelle ou collective, au sens d’opus, dans sa production, sa diffusion et sa réception.
Qui peut être proposer une communication ?
Chercheurs, doctorants, seuls ou en association
Membres d’associations
Entreprises culturelles
Services et opérateurs culturels de l’État ou des collectivités territoriales
La date limite des candidatures est fixée au 30 juin 2019 à 18 heures. La sélection des projets interviendra au plus tard au 31 octobre 2019 pour une notification dans le courant du mois de novembre 2019. La journée d’études se déroulera au premier trimestre 2020.
Pièces :
NOM, prénom, adresse, téléphone, courriel, structure et rattachement, noms éventuels des partenaires, résumé de la communication en 2000 signes maximum. À renvoyer à secretariat.general@cths.fr
Pour en savoir plus : secretariat.general@cths.fr
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