136e congrès, Perpignan, 2011 - Faire la guerre, faire la paix

mardi 3 mai 2011 - 09:00


Colloque pré-protohistoire

Sous-thème : I. suite : les stigmates - II. La panoplie du guerrier

Titre : Les morts par arme blanche au haut Moyen Âge : soldats ou victimes ?

Présidents :
FULLOLA PERICOT Josep Maria
, professeur de préhistoire à l'Université de Barcelone
JANIN Thierry , professeur de protohistoire à l'université Paul Valéry-Montpellier III, UMR 5140 du CNRS

Les témoignages de violence sont quelques fois retrouvés sur les os de sujets du haut Moyen Âge. Leur attribution à des faits d’arme n’est pas toujours aisée. Les traces de fractures après un choc ou résultant d’un coup porté par un objet contondant sont probablement plus difficiles à interpréter : elles peuvent être attribuées à des violences privées, des accidents de la vie quotidienne ou à des actes « guerriers ». En revanche, les traces mettant en jeu des objets tranchants sont plus facilement (à tort ?) mises en relation avec des conflits entre des groupes différents.
Le nombre de sujets blessés est très souvent anecdotique par rapport à l’ensemble de la population inhumée. Les raisons en sont multiples, les principales tiennent au fait que seules les atteintes allant jusqu’à l’os nous sont perceptibles et que l’état de conservation de la matière osseuse peut ne pas permettre de reconnaître ces lésions. Le nombre de sujets présentant des cicatrisations attestant d’une survie des individus sur le long terme est rare. Certains, montrant des cicatrisations anciennes portent également des traces portées peri-mortem par un ou des objets tranchants ; ces sujets ont été confrontés au moins deux fois à des conflits armés et violents.
La localisation anatomiques des lésions ainsi que l’emplacement géographique de la tombe peuvent être de précieux compléments d’informations, voire des éléments discriminants pour interpréter ces traces. Le nombre relativement grand de sujets concernés dans la nécropole de Crotenay (Jura) peut s’expliquer par le fait que, bien que nous ignorons le ou les lieux de résidence des sujets inhumés, nous sommes à proximité d’une zone de circulation attestée des biens et des personnes. Les sujets ont pu être blessés soit dans le cas d’un service de surveillance de cet axe de passage, soit lors de tentatives extérieures de pénétrer dans la combe d’Ain. Les hommes inhumés dans la basilique paléochrétienne de Chassey-les-Montbozon (Haute-Saône) peuvent être apparentés à des notables ayant une légitimité sociale à porter les armes et en subir les conséquences. L’un d’eux, inhumé dans un sarcophage, dans le chœur de la basilique, a reçu de multiples coups tranchants.
Quant est-il de la femme inhumée dans l’abbaye Notre-Dame de Nevers ? Outre un coup violent porté sur la face latérale droite du crâne, elle montre une entaille profonde de la face antérieure de la troisième vertèbre cervicale qui pourrait correspondre à un égorgement. Le contexte chronologique nous apprend qu’il peut s’agir d’une moniale. Tuée lors d’une attaque de la ville ou du couvent ?
Que penser des coups pénétrants reconnus sur les sujets de Bierry-les-Belles-Fontaines (Yonne) ou d’Alise-Sainte-Reine (Côte-d’Or) et occasionnés par le talon d’une hache de jet ? Les cimetières dans lesquels ont été trouvés ces individus sont considérés comme des cimetières ruraux accueillant des populations rurales. Qui sont alors ces sujets ? Des victimes occasionnelles comme à Nevers ? Rien historiquement ne permet d’envisager une ou des actions « guerrières » dans les deux zones concernées. Pourtant, l’objet incriminé est clairement une arme, la trace laissée sur chaque crâne est identique, elle résulte donc d’une utilisation identique de cette arme. S’agit-il d’hommes devant servir comme soldat pendant une période et qui après leur mort ont été rapportés dans le cimetière communautaire ? De soldats morts loin de leur lieu d’origine et admis dans le cimetière rural proche du lieu de leur décès ?
Si au VIIe siècle, la Burgondie et le Nord-Est de la France sont soumis à diverses « conquêtes » par les Francs, nous ne disposons pas de données archéologiques pouvant se rapporter de façon irréfutables à ces évènements historiques. Ne disposant pas d’informations sur le soldat de base, il n’est jamais aisé de distingué le soldat attaquant du défenseur ou de la victime. Par ailleurs, l’étude en cours de la nécropole de Crotenay (Jura) montre que les sujets portant des lésions consécutives à des violences inter-personnelles ne sont pas ceux qui sont inhumés avec des armes !
À quoi est due l’absence d’enfants de moins de dix-quinze ans dans notre échantillon ? Les scramasaxes de taille réduite qui accompagnent des défunts immatures de certaines tombes alsaciennes sont-ils de simples armes de parades ? L’expression d’un statut social ? Des armes d’entraînement ?
Toutes ces questions font que les découvertes de lésions par armes blanches sur des squelettes du haut Moyen-Âge dans l’Est de la France, semblent ressortir de l’exception et restent dans le cadre de données spectaculaires, isolant probablement artificiellement le ou les individus concernés du reste de la population inhumée.

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Mme Émilie CARTIER-MAMIE, Archéo-anthropologue

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Mme Germaine DEPIERRE, Archéologue, membre du laboratoire Archéologie, terre, histoire, sociétés (ARTeHIS, UMR 6928, université de Bourgogne / CNRS)