137e congrès, Tours, 2012 - Composition(s) urbaine(s)

vendredi 27 avril 2012 - 09:00


I. Les moments

Sous-thème : I. C. Penser la composition urbaine depuis le XVIIIe siècle

Chapitre : I. C. Penser la composition urbaine depuis le XVIIIe siècle - 3 - salle 10

Titre : Sources et contextes de la reconstruction des villes en France : la reconstruction du Havre par Félix Brunau et Auguste Perret (1945-1951)

Présidents :
PETITFRÈRE Claude
, professeur émérite d'histoire de l’université de Tours François-Rabelais
GUEIT-MONTCHAL Lydiane , directrice des Archives départementales d'Indre-et-Loire

La Reconstruction, phénomène historique, politique et économique, a généré des sources variées touchant tant les particuliers que les organismes publics et parmi ceux-ci, les villes, qui s'engagèrent dans des relations au long cours avec l'État chargé d'administrer et de contrôler l'emploi des crédits de reconstruction.
Cette communication va s'attacher à étudier un cas d'école, celui du Havre, suffisamment emblématique des problématiques de reconstruction totale, pour proposer une nouvelle lecture de sources d'urbanisme et de planification économique, paysagère et architecturale, que l'on peut retrouver à des échelons divers : État central, services déconcentrés, grandes agences et sociétés d'aménagement, associations syndicales de reconstruction, dossiers de dommages de guerre, services techniques des villes. Le propos n'est pas de définir un modèle unique ou un idéal-type de ville reconstruite à partir d'un exemple ponctuel, mais de voir comment, à partir du cas extrême de la ville du Havre, s'opèrent une ou plusieurs logiques d'urbanisme et d'architecture des périodes d'immédiat après-guerre aux prolongements des années 1980. À partir d'un plan de reconstruction remis en contexte, on se propose de faire le lien avec quelques exemples ponctuels de sources, qui produisent un discours sur la reconstruction des villes, mais à une échelle différente, le dossier d'une exposition consacrée dès 1946 aux villes à reconstruire, présentée au palais Galliera sous forme de maquettes pédagogiques. Cette comparaison est destinée à mettre en valeur le caractère original des plans de reconstruction, notamment celui du Havre, dans la perspective de faire comprendre le décalage entre un discours de communication institutionnelle et celui des plans qui, discutés et modifiés, deviennent dans la vie quotidienne les principaux documents d'urbanisme destinés à la gestion ordonnée du territoire des villes et ce sur la durée.
218 plans de la reconstruction des villes de France bombardées durant la Seconde Guerre mondiale, ont été versés aux Archives nationales à Fontainebleau de 1977 à 1984 par le ministère de l'Urbanisme donnant les clés de compréhension de cette vaste entreprise. Parmi ces 218 plans, figure un plan aquarellé exceptionnel par sa taille (12 m2) et son contenu, révélateur de son élaboration progressive et difficile, le plan dit de Félix Brunau et d'Auguste Perret, qui résulte d'une répartition délicate des rôles entre les fonctions d'urbaniste et celles de l'architecte en chef. Ce plan, qui constitue la mise au net d'une première version élaborée par Félix Brunau, est ensuite repris par Auguste Perret et son atelier et les deux hommes doivent se partager, avec leurs collaborateurs, à la fois un territoire urbain devenu presque totalement vierge à l'exception de quelques grands boulevards du XIXe siècle, et s'accorder sur des points essentiels, tels la reprise de la trame ancienne ou non, l'orientation des nouveaux îlots d'habitation, la co-existence entre les fonctions d'une ville.
Félix Brunau et Auguste Perret décident de la forme de la ville reconstruite, après approbation du conseil municipal en 1945. Le ministre confie la partie correspondant au centre-ville à Perret en 1946, le maître se réservant la conception de cette partie rasée et désirant y exprimer ses concepts d'architecture, qualifiée d' « art total ». En 1946, Henri Bahrman succède à Félix Brunau et à peine adopté, le plan est mis en révision de 1949 à 1951. Ce fond de plan dure longtemps puisque des espaces réservés ne sont finalement construits qu'à la fin des années 1970 ou au début des années 1980 (immeuble de Candilis, Centre culturel de Niemeyer), selon une logique que les architectes et urbanistes connaissent bien, celle de la reconstruction perpétuelle de la ville sur la ville.
L'original conserve des traces de repentirs, de modifications et à travers elles, on lit les affrontements des théoriciens et praticiens des grandes opérations nationales de la Reconstruction, les concepts développés par des hommes aux carrières riches, et qui feront des disciples. Ils doivent convaincre élus, fonctionnaires du MRU et la population de la mise en oeuvre de leur projet, pour le bien commun et dans une perspective de progrès esthétique, technique et social. S'y affrontent modernes et tenants d'un néo classicisme, s'y discutent les visions de la ville de la seconde moitié du XXe siècle, dans un contexte géographique qui n'est pas neutre. Le Havre, ville nouvelle fondée par François Ier pour ses ambitions politiques outre Atlantique, est la ville du négoce et des grands paquebots, des relations avec l'Amérique. Elle sera au XXe siècle partie prenante de l'industrialisation de la vallée de la basse-Seine. C'est elle que les voyageurs d'outre Atlantique aperçoivent en abordant ensuite l'estuaire canalisé de la Seine. Ce paysage fort, profondément modifié avant même les premiers bombardements, cherche à conserver les références du passé dans une ville entièrement reconstruite. À travers une explication du plan et des comparaisons entre celui-ci et les vues actuelles de la ville du Havre, on proposera une lecture à partir d'une reproduction partielle de l'original, fondée sur différentes sources primaires mais aussi sur les résultats d'une étude globale du Havre, issue de la publication d'un Cahier du patrimoine sur le Havre en 2005 et les résultats d'une enquête ethnographique réalisée récemment pour l'inscription de la ville au patrimoine mondial de l'Unesco. On prendra quelques exemples de « points de vues » qui, pour les auteurs de la reconstruction de la ville, avaient une importance singulière : perspective de l'avenue de Paris depuis l'hôtel de ville, avenue Foch jusqu'à la Porte Océane, front de mer. On tentera de comprendre enfin la signification de certaines expressions employées longtemps par la population, telles que « Stalingrad sur mer » et qui révèlent les difficultés d'appropriation des lieux par les habitants dans une ville qui se cherche des références, parfois à contre-sens de l'histoire, en tout cas très marquée par la période de la Guerre froide.

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Mme Sylvie LE CLECH, Directrice adjointe des archives diplomatiques au ministère des Affaires étrangères

Membre des sociétés savantes :
Association nationale de recherche et d'action théâtrale, Trésorière
Centre d'études médiévales, Membre
Mémoire et patrimoine vivant, Membre
Parlement des écrivaines francophones, Membre fondateur
Société française d'archéologie, Membre