138e congrès, Rennes, 2013 - Se nourrir. Pratiques et stratégies alimentaires

jeudi 25 avril 2013 - 09:00


Thème VI. Représentations et alimentation

Sous-thème : VI.B. Manger moral, manger sauvage

Titre : Le végétarisme engagé des antispécistes : entre militantisme et orthorexie ?

Présidents :
DALLA BERNARDINA Sergio
, professeur d'ethnologie à l'université de Brest
LE GOFF Armelle , conservateur général aux Archives nationales, Paris

On sait depuis longtemps que l’acte de se nourrir prend chez l’humain des tournures complexes et sans cesse renouvelées : ce qui est bon à manger est surtout bon à penser.
Claude Lévi-Strauss a largement démontré l’importance emblématique de l’alimentation du point de vue socioculturel.
Le régime alimentaire peut être vécu comme le signe d’une conversion militante majeure, un acte (sur)chargé de symboles, un concentré de vision du monde. C’est le cas pour les militants de la libération animale ou antispécistes, qui refusent d’ingérer de la viande, pour ne pas cautionner la souffrance des animaux.
-Alimentation et cruauté
Fondamentalement, il est tentant d’interpréter le régime antispéciste/vegan comme le signe d’un engagement pour une société lavée de la souillure de ce qui est considéré par les militants comme une « tuerie permanente » d’animaux, réelle, quotidienne, destinée à nourrir l’humanité. Les antispécistes ne veulent pas d’une société nourrie au « meurtre » d’animaux. « Manger des animaux, c’est comme manger des gens », expliquent-ils, reliant carnivorisme et cannibalisme car pour eux il n’y a pas rupture mais continuité entre l’humain et les autres animaux, c’est la ressemblance des espèces qu’ils ont retenue, pas les différences.
-Alimentation et orthorexie
Ne plus manger de « chair animale » peut apparaître comme une modalité de plus de l’orthorexie, tendance apparue dans les sociétés occidentales riches, dans lesquelles la diversité des aliments accessibles peut inquiéter les acteurs sociaux. Livrés à eux-mêmes pour décider de ce qu’il convient ou non d’ingérer, certains y répondent en s’imposant un auto-contrôle sévère et contraignant. Ces perfectionnistes de la nutrition sont à la recherche du régime alimentaire idéal, à la fois valorisant pour leur identité socioculturelle et totalement sain pour leur corps.
Cette obsession du contrôle alimentaire, qui peut être associée à une volonté de se maîtriser soi-même, mieux que les autres, ne nous semble pas cependant pas suffisante pour analyser la totalité de la posture antispéciste : celle-ci n’écarte les aliments que s’ils sont d’origine animale. Le critère du « tri » est essentiellement axé sur la souffrance. Pour le reste, tout est possible, tout est permis, le plus souvent sans souci pour la santé ou pour la pureté du corps. Parmi nos informateurs nous avons rencontré la palette habituelle des mangeurs occidentaux : des gourmands, des indifférents, des instables, des curieux, des inventifs, des pragmatiques ou des opportunistes.
Tels des objecteurs de conscience, les antispécistes ont commencé à troubler la bonne conscience de certains, notamment à l’heure des repas. Peut-être qu’un jour ce sera aux consommateurs de viande d’avoir à se justifier… Ce scénario, catastrophique pour les uns, inespéré pour les autres, traverse déjà les imaginations.

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Mme Catherine-Marie DUBREUIL, Anthropologue