141e congrès, Rouen, 2016 - L'animal et l'homme

lundi 11 avril 2016 - 16:00


Colloque 3. L’animal et l’homme, nouveaux statuts, nouveaux paradigmes, nouvelles contraintes

Sous-thème : 3.2. Horizon thérapeutique et magico-religieux

Titre : Quand la protection des animaux et des arbres est au fondement même du cadre religieux : ethnographie d’une communauté engagée

Présidents :
DALLA BERNARDINA Sergio
, professeur d'ethnologie à l'université de Bretagne occidentale, Brest
CHEVALIER Sophie , professeur en anthropologie à l'université de Picardie Jules-Verne, chercheur à « Habiter le monde », associé au LAU-IIAC-EHESS (Laboratoire d'anthropologie urbaine - Institut interdisciplinaire d'anthropologie du contemporain - École des hautes études en sciences sociales), co-directrice de la revue électronique Ethnographiques.org

La protection des animaux relève généralement d’organisations qui réunissent un collectif de personnes très diverses s’engageant par choix et conviction personnels dans cette cause. Il en est tout autrement pour la population Bishnoï, une communauté religieuse d’environ 800 000 membres vivant principalement dans les zones rurales et désertiques du Rajasthan. En effet, le devoir de protection des animaux et des arbres est un des préceptes (29 en tout) constituant le socle de leur religion, le Bishnoïsme, fondé au XVe siècle par Sri Jambeshwar (1451-1536), mystique, prophète, visionnaire pour qui la pérennité et la survie de l’être humain dépendent de la prise en compte de l’interdépendance entre les différentes espèces et leur environnement naturel.
Cet engagement est donc ici intrinsèquement lié à la foi de cette société et vécu et revendiqué en tant qu’élément fondateur de son identité. Il n’est donc pas le fait d’une adhésion individuelle et volontaire pour défendre une cause, mais véritablement d’une intégration, de par sa filiation, à une « manière d’être au monde » toute à la fois sociale, éthique et spirituelle qui se transmet de génération en génération.
Par ailleurs, ce « devoir » de protection des êtres vivants est exacerbé par la notion et l’acte de « khadana saka » le « sacrifice suprême » extrêmement valorisé jusqu’à nos jours et perpétré par des hommes et des femmes morts pour sauver et protéger d’autres êtres vivants. Certains d’entre eux ont été sanctifiés en tant que « dada sata » ou « dadi sati », et sont devenus des ancêtres et protecteurs de chacune des « gotra » (lignées) Bishnoï. D’autres, qui ont aussi fait ce sacrifice de leur vie, sont considérés comme des « saheed » (des martyrs) à qui il est rendu hommage lors de cérémonies. Si, aujourd’hui, aucun Bishnoï ne donne plus sa vie pour protéger un arbre, il en est tout autrement pour sauver la vie de certains animaux - en particulier les gazelles et les antilopes - et le tout dernier martyr de la communauté est décédé en janvier 2014 en s’interposant entre une gazelle et un braconnier.
En m’appuyant sur les enquêtes de terrain réalisées dans le cadre de ma thèse, je souhaite présenter la complexité de cet engagement et de la relation privilégiée aux antilopinés - véritable flambeau des revendications identitaires des membres de cette communauté- et en explorer les différentes facettes, contradictions et tensions qui ne manquent pas de se présenter dès lors que les territoires sont de plus en plus anthropisés, cultivés, et que les populations rurales tout comme la faune sauvage sont soumises aux pressions et aux changements globaux.

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Mme Maria-Mélanie CHAUVEAU, Doctorante en ethnologie à l'université Paris X - Paris-Nanterre, Membre du Laboratoire d'ethnologie et de sociologie comparative (LESC, UMR 7186, CNRS), Membre du Laboratoire d'éco-anthropologie et d'ethnobiologie (UMR 7206, MNHN / CNRS)